L’Ordre franciscain séculier: ses racines

L’ordre franciscain séculier : ses racines.

En 2006, la Conférence de la Famille franciscaine écrivait dans sa lettre adressée à toutes les branches de cette famille, en vue de préparer le huitième centenaire de l’approbation de la Règle des Frères Mineurs : « Le terme « Evangile«  indique le cœur de la vocation franciscaine, il est la clé qui ouvre l’accès à l’immense espace de la « Bonne nouvelle de Dieu et de Jésus. »

Les auteurs de cette lettre affirment aussi que cette bonne et joyeuse nouvelle nous révèle conjointement en Christ le mystère du Dieu-Trinité et le mystère de l’homme dans sa grandeur comme dans sa limite, sa fragilité pécheresse. L’Évangile nous introduit d’emblée dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Notre « itinéraire de pénitence évangélique » qui est conversion, ajustement à la vie christique est à reprendre chaque jour afin de témoigner de la nouveauté et de la jeunesse de l’Évangile.

La vocation de l’Ordre Franciscain Séculier s’enracine dans cette invitation faite aux laïcs engagés dans le monde de vivre cet « itinéraire de pénitence évangélique » en fraternité. L’Ordre Franciscain Séculier l’a rappelé, lors de son dernier chapitre en novembre 2008 en réaffirmant que l’Église reconnaît les franciscains séculiers comme appartenant à un véritable Ordre, du fait de leur promesse d’être témoins de l’Évangile dans leur état séculier avec une forme de vie et une Règle. Mais, convenons-en, il n’est pas évident d’établir le lien pour nous aujourd’hui entre cette proposition de conversion et le terme d’Ordre qui revêt souvent, soit une connotation disciplinaire, soit une dimension religieuse réservée aux seuls religieux qui ont prononcé des vœux de pauvreté, d’obéissance et chasteté. De même, le terme séculier ne recouvre pas d’emblée la notion du monde… Ainsi, il nous semble essentiel de vous offrir quelques clés de lecture pour savourer la sève évangélique qui se cache derrière ces mots : Ordre Franciscain Séculier.

Ordre : l’état pénitentiel un style de vie.

Le terme « Ordre » renvoie à l’expression latine « ordo poenitentiae » désignant « l’état pénitentiel » juridiquement reconnu par l’Église dès le 5ème siècle. Des hommes, des femmes s’engagent à vivre dans leurs maisons librement un chemin d’ascèse comportant les caractéristiques suivantes: « Le redressement des torts commis, la prise d’habit, une vie retirée dans sa propre maison, le renoncement aux fonctions publiques, au port d’arme, aux activités commerciales et financières, aux spectacles et fêtes populaire[1]s.»

Cet état pénitentiel prend sa source dans le monachisme ayant pris primitivement la forme d’un mouvement érémitique populaire essentiellement laïc à son origine. En effet, au 4ème siècle, à l’époque où le christianisme devient religion officielle, où les laïcs n’ont plus aucun rôle au sein de l’Église, de nombreux fidèles sont tentés par la fuite du monde et l’ascétisme qui constituent une nouvelle façon de se donner à Dieu. L’apparition de la virginité comme idéal chrétien s’enracine au 4ème siècle dans le néo-platonisme où le divin ne peut se trouver dans la matière. Au haut Moyen-âge, l’idée qu’il existe une incompatibilité entre la vie dans le monde et l’état religieux s’impose aux chrétiens d’Occident. La pénitence est essentiellement comprise comme un combat contre les forces du mal. Le monde étant essentiellement mauvais, il faut le quitter pour accéder à un chemin de perfection. Au cours du 12ème siècle, cette primauté de la dimension contemplative est remise progressivement en question. « Plusieurs communautés d’origine érémitique dépassent la référence aux Actes des apôtres pour chercher directement dans les Évangiles les préceptes et les exemples qui gouvernent leur vie. Leur modèle n’est plus l’Église de Jérusalem après la Pentecôte, mais la communauté formée par Jésus et ses disciples à l’époque où ils prêchent en Galilée.[2]» L’Église va privilégier la dimension apostolique et proclamer que « faire pénitence » c’est prendre à la lettre la parole du Christ : « Convertissez-vous, le Royaume de Dieu est proche. » Elle va alors favoriser ce désir de conversion, de vivre en conformité avec l’Évangile, la volonté de se conformer au Christ. La conversion ne va plus seulement s’exprimer dans une pratique extérieure de comportement mais s’intérioriser dans une démarche authentique.

L’Ordre de la pénitence : la pénitence laïque s’organise.

Son essor est dû à plusieurs facteurs :

  • Dans la deuxième moitié du 12ème siècle, l’idée germe que de simples fidèles puissent mener une vie religieuse dans leur propre maison. Le pape Alexandre III affirme dans une bulle de 1175, adressée aux chevaliers de l’Ordre militaire de Saint-Jacques-de-l’Épée que l’état religieux n’est pas lié à la virginité mais à l’obéissance à une Règle. Ce texte qui sera confirmé par Innocent III en 1209 est important ; en effet, apparaît une conception intériorisée de la fuite du monde, aucune catégorie de chrétiens n’est disqualifiée, a priori, du fait de son genre de vie.
  • La réforme grégorienne en distinguant le spirituel du temporel a permis paradoxalement à la société civile de prendre conscience de son autonomie. Elle va favoriser l’accession des laïcs à la vie religieuse. Ces derniers veulent découvrir la Parole de Dieu et cherchent une spiritualité qui corresponde à leur état de vie.
  • L’Église va vouloir prendre appui sur ce vaste mouvement pénitentiel pour endiguer l’hérésie cathare.

Le mouvement pénitentiel va alors se développer dans des milieux d’artisans désireux d’accéder à la vie évangélique tout en demeurant dans leur état. Les laïcs revendiquent le caractère sanctifiant de toute condition humaine et sociale ainsi que le refus de se voir cantonner dans le domaine du temporel. Des groupements de « laïci religiosi » vont donner naissance à des fraternités de pénitents organisés en « Ordo de poenitentia« . Ils font une promesse publique de consécration à Dieu, celle-ci se traduit concrètement sous la forme d’un Propositum. Les historiens repèrent les premiers Propositum reconnus officiellement dès 1201, concernant notamment les Vaudois, les Humiliés, les Pauvres Catholiques de Durant de Huesca. En 1221, tous les Pénitents adoptent un statut commun : « Memoriale propositi fratrum et sororum de poenitentia in domibus propriis existentium.[3]» L’Ordre de la Pénitence est né. Une foule de laïcs dynamisés par le zèle de saint Français d’Assise qui a reçu de l’Église un mandat de prédication dès 1209, embrasse ce statut. Il est considéré aujourd’hui comme le premier Projet de vie des laïcs franciscains.

Le Tiers-Ordre

Jusqu’en 1289, il est inadéquat de parler de Tiers-Ordre. Certes, comme nous l’avons vu précédemment, François et ses premiers frères ont propagé l’état pénitentiel parmi les laïcs mais François n’a jamais fondé une fraternité locale de Pénitents ou groupant des fraternités en Provinces ou leur donnant une Règle écrite, un statut sociétaire, ce qui est bien le cas pour l’Ordre des Mineurs.

Les fraternités des Pénitents étaient rattachées à la juridiction ecclésiastique. Elles ne dépendaient pas organiquement des Frères Mineurs. Par contre en 1289, le Mémorial de 1221 est remanié par un Frère Mineur, le Frère Caro et est approuvé par le pape franciscain, Nicolas IV comme Règle des Pénitents. Le texte est attribué à saint François, lui-même ! Cette Règle est acceptée par presque toutes les fraternités, les Pénitents se trouvent dès lors sous la juridiction des Frères Mineurs. De ce fait, l’appellation « Tiers-Ordre » semble trouver sa première justification. En 1883, le pape Léon XIII donne une nouvelle Règle au Tiers-Ordre, celui-ci devient un instrument de réforme sociale dans l’Église. Le pape renforce la notion d’Ordre : le Tiers-Ordre établit ses membres dans un état de vie de perfection par la Profession de la Règle. Il est à noter le changement radical survenu entre le ‘Herne et le 19’ine siècle. A l’origine, les fraternités ont vécu quasi totalement indépendantes de l’Ordre des Frères Mineurs, sur le plan juridique, au 19ème siècle le Tiers-Ordre est très lié juridiquement au Premier Ordre.

 En 1978, Paul VI promulgue une nouvelle Règle ou Projet de vie qui a pour objet d’adapter l’Ordre Franciscain Séculier aux exigences, et aux attentes de l’Église dans les conditions du monde actuel. Elle est valable à l’échelle mondiale, et constitue la colonne vertébrale, la référence pour l’Ordre Franciscain Séculier.

Conclusion.

« Tel que le regarde François, le monde rayonne de la gloire du Créateur et bruisse de sa présence.[4]» La spiritualité franciscaine est séculière par définition. Elle fait du monde le terrain même de l’espérance christique ; le Christ, « l’Homme-Dieu » accomplit la volonté de son Père au cœur de l’épaisseur humaine. En nous laissant laver par le Seigneur et par les autres, nous apprenons à casser notre autosuffisance. La conversion du cœur consiste à accueillir notre filiation divine, la pauvreté de notre être, imprimée dans la pauvreté du Dieu trine où chacune des Personnes est absolument incapable d’une action qui lui soit propre, car ce qui la constitue c’est la désappropriation radicale. Le don précède l’être. Claire d’Assise ne définit-elle pas l’être comme la capacité de recevoir le don de se donner. Ainsi notre pauvreté, non seulement n’est pas un obstacle à la perfection évangélique, mais elle en est le levier même.

Il nous faut partir du symbolisme de la croix, lieu central et unifiant qui permet d’accéder à la source, Jésus Christ. La croix, c’est le lieu où je me donne, c’est le lieu où je quitte mes sécurités, c’est le lieu où je meurs. C’est le lieu de la fécondité. Lorsque nous sommes au cœur du désespoir, la puissance résurrectionnelle du Père nous ouvre la vie en plénitude. Nous convertir, c’est consentir à expérimenter le déploiement de notre liberté, en tant que fils dans le Fils.

Ce primat de la liberté dans la dimension franciscaine peut nous aider à rejoindre nos contemporains épris d’authenticité, de vérité et de bonheur.

Brigitte Gobbé,
Mouvement Franciscaine Laïque de Suisse Romande

[1] Mémoire du Projet de vie des frères et sœurs de la pénitence vivant dans leur propre maison. Cf. F. f. Meersseman O.R, Dossier de l’Ordre de la Pénitence au XIll° siècle. Editions universitaires, Fribourg, Suisse.

[2] François DELMAS-GOYON. Saint François d’Assise, Le frère de toute créature. Parole et Silence.

[3] Mémoire du Projet de vie des frères et sœurs de la pénitence vivant dans leur propre maison. Cf. F. f. Meersseman O.P., Dossier de l’Ordre de la Pénitence au Même siècle. Editions universitaires, Fribourg, Suisse.

[4] François DELMAS-GOYON, Saint François d’Assise, Le frère de toute créature, Parole et Silence.